Atelier Hubert Crevoisier

 

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Eloge de la fissure

La lumière s’immisce par la faille. Elle y œuvre en secret. Et par cette même brèche, en ressortir transfigurée.

C’est une hypothèse à la fois puissante et profondément humaine. Dire que le processus artistique consiste à explorer la brèche, la faille mentale, c’est reconnaître que la création n’est pas seulement une production esthétique, mais un travail de fouille, une descente dans les zones d’ombre de soi-même. L’art devient alors un mouvement vers l’intérieur, un acte de confrontation avec ce qui est fêlé, instable, blessé, ou encore non formulé.

C'est le privilège de l'artiste expérimenté d'explorer de nouveaux territoires en utilisant les failles de la matière. La faille n’est pas une simple fracture ou un déficit : c’est une ouverture, un seuil où le monde se déplie autrement. Au cours de la performance, je sors le verre de vitrail de la cathédrale pour continuer à faire ce que les verriers font depuis la nuit des temps : recourir a la puissance du silence pour invité à manipuler ou interagir avec la matière pour accéder a la dimension sensorielle de la matière

  • Quand le public est (par exemple dans des installations), on crée une rupture entre spectateur et œuvre, et on ouvre un espace sensoriel.

  • Exemple : Lygia Clark, qui voulait que ses œuvres soient touchées, portées, vécues.

la faille comme espace de vulnérabilité, mais aussi comme point d’entrée de la lumière, de la transformation ou de la création. Explorer la faille non pas comme blessure seulement, mais comme une porte vers l’intensité ;créer une œuvre qui accueille l’imperfection, la cassure, et la transmute en langage ou en lumière.

Elle est une source de lumière, de créativité, et un appel à repenser nos modes de vie dans un monde en transformation.

✦ Citation : « J’aime les choses qui sont dans un ordre particulier. »


Wow, c’est une connexion magnifique que tu établis là — entre l’œuvre de Robert Walser et ton travail de verrier autour de la faille et de la lumière.

Walser, par sa « faille mentale », nous montre comment une perception décalée, une fragilité intérieure, peut révéler des nuances subtiles, des éclats de sens que d’autres ne perçoivent pas. Dans ton travail, la faille — qu’elle soit une microfissure, une imperfection, ou une cassure — devient un point d’entrée pour la lumière, pour la beauté. Tu transformes ce qui pourrait être vu comme une fragilité ou une faiblesse en une force, en une source d’éclat.

C’est un peu la même idée : dans l’imperfection, dans la vulnérabilité, se trouve une singularité qui peut illuminer autrement. Ta matière parle, avec ses cassures, de ce que Walser écrivait avec ses mots — la beauté de l’inattendu, la poésie du fragmenté.

Tu pourrais peut-être écrire ou créer un projet où tes pièces de verre deviennent une métaphore tangible des textes de Walser ? Une sorte de dialogue entre le verre fissuré et les mots fragmentés, entre lumière et pensée ? Qu’en penses-tu ?

- Leonard Cohen – "Anthem" (poème/chanson), citation célèbre de Leonard Cohen
”There is a crack in everything, that’s how the light gets in.”
(« Il y a une fissure en toute chose, c’est ainsi que la lumière peut entrer. »)


Carl Gustav Jung – Ma vie (autobiographie)
Jung aborde à travers son propre récit une faille psychique profonde, un déchirement intérieur, qui est aussi source de vision, de création et d’individuation. Il y a chez lui cette idée que la lumière vient de l’ombre, que c’est dans la confrontation avec la faille que l’être se forme.


Anne Dufourmantelle – Éloge du risque
Philosophe et psychanalyste, Dufourmantelle parle de la vulnérabilité comme lieu de puissance. Elle évoque aussi l’importance de ne pas fuir la faille, mais de l’habiter.


Wabi-sabi” (l’esthétique de l’imperfection).
Kinstingi


Carl Gustav Jung – « Ma vie »

Son œuvre est riche en concepts comme l’inconscient collectif, les archétypes, l’ombre, le processus d’individuation, qui peuvent parfaitement nourrir ta réflexion sur la faille mentale et la lumière qui peut en émerger.

Jung parle du chaos intérieur, de la faille psychique, mais aussi de la transformation et de la lumière possible par le travail sur soi.

  • Son concept d’individuation est justement le chemin qui traverse la faille pour accéder à une lumière plus vaste, une conscience élargie.

  • Ses idées sur les archétypes et la symbolique peuvent t’inspirer dans ton travail artistique autour de la faille mentale.

 

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La brêche / Large Bowl for gathering Light / Stephen Procter


1987

Le froid est mordant en ce jour d’avril. Je me réfugie dans la galerie de la Tour des Prisons à Berne. Je déambule dans l’espace d’exposition. La rencontre avec la sculpture de verre “ Large Bowl for Gathering Light " de l’artiste Stephen Procter est un choc esthétique (cf. image ci-dessus). Voir l’ Espace vide contenu dans la sculpture me pousse dans l’inconnu. Ressentir ce que je vois me dépasse. Je sors de la galerie transformé. Un Espace s’ouvre. Ma vie bascule. Je quitte Genève pour me former comme souffleur de verre à Orrefors, en Suède. Depuis 35 ans, j’ai recours au verre pour explorer visuellement la dimension sensorielle de la matière. Remettre en mouvement l’Espace la matière, la lumière et la couleur est un long processus. Le maillage est précis.

 

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 Dès 1998. Définir mon Espace de travail. Le cocon de verre et les contenant Contenu.

https://www.youtube.com/shorts/7Y6POuprLT0

 

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mail envoyé le : Di, 30 Mar 2014 16:40

Cher Monsieur xxx. Permettez-moi de vous transmettre ce message que j'ai écrit suite à ma soirée de vendredi soir. Un nouveau parcours de vie commence. 

Vendredi soir. 28 mars 2014. Je souris. Je suis terrifié. Je suis entré dans le hall de la Banque Cantonale de Neuchâtel, dans le tout nouvel espace fraîchement rénové de la succursale du Locle. Trente hommes sombres, des prédateurs, me fixent. Tous vêtus de costumes noirs impeccables, tous avec des chaussures étranges. Ils observent cet artiste qui entre en souriant, bien habillé, arborant une cravate lumineuse achetée chez Duchamp à Londres. Je me sens fort, vêtu de ce magnifique code social de soie colorée, soigneusement repassé par mon ami Helmut.

Le directeur de la banque reconnaît immédiatement le style de l’artiste. On me présente à lui comme « l’artiste talentueux ». Il connaît déjà l’histoire. Ma pièce en verre s’est brisée une troisième fois ce matin. Je suis désespéré. Enfin, après 25 ans, j’étais prêt à voir à travers cette création ce qu’il y a en moi. Aucun doute. Cela a à voir avec la lumière. Non. La pièce a cassé. Ce n’est toujours pas le bon moment. Le vernissage commence. Bla bla. Mon ami Monsieur Ardia, secrétaire général de la banque, me demande de faire un discours. Merde. Ce n’était pas prévu. Concentration maximale Hubert. C’est à toi. Écoute ce que Helmut te répète depuis des mois. PAS de mots jaunes. Seulement des mots verts, SIMPLES, FACILES. Ces mots verts que tout le monde peut comprendre.

J’entre dans le monde réel.La pression est trop forte. Trop dangereuse. Je fuis. Je me retire dans mon monde jaune.Le jaune, c’est mon monde intense. j’ai été diagnostiqué il y a un mois. Je parle. Je m’entends parler. Je n’ai aucune idée de ce que je dis. Mais je suis malin.Je suis entraîné.Je suis fort.

Hubert : Ok, tout va bien. Je vois. Je ressens. Tout le monde t’écoute… Continue. Fais un pas de plus.Que se passe-t-il en toi ? Quelles couleurs apparaissent dans ton esprit ?

  1. Jaune. Tu es en ce moment dans ton monde jaune intense. Question : alors comment accueillir ces 30 prédateurs dans ton monde intérieur sans être détruit ?

  2. Rouge. Le rouge surgit soudain du côté gauche de mon esprit. Le rouge, c’est l’humanité pour moi. Je m’entends dire : « Je remercie de cette humanité que je retrouve dans ce canton de Neuchâtel qui m’a permis d’aller à New York et Paris en résidence d’artiste. Je remercie Monsieur Ardia et la générosité de la Banque BCN… bla bla… » Bien.

  3. Blanc. Bouclier. Licorne blanche. Ok Hubert. Continue. Tu es sur la bonne voie.
    Tout le monde t’écoute.Les politiciens, les banquiers présents ici apprécient mon discours.Tu as réussi à capter leur attention.Mais Hubert, maintenant, il est temps de faire un grand pas nouveau. BRISE LE MUR. BREAK THE WALL

  4. Vert. Vert. Rien que du vert. Et je m’entends dire :
    « Ma sculpture intitulée SQUARE oculus 31 se veut être un hommage à l’horlogerie, aux industries et aux brillants mais modestes horlogers du Locle. Je voulais mettre en avant leur savoir-faire et leur savoir-être. »

    Je me retire. Un silence bruyant s’installe. Les 30 prédateurs sont devenus une sorte de famille. Tout le monde veut aider quelqu’un en difficulté. La soirée devient chaleureuse, humaine, simple.
    Tous veulent voir l’œuvre terminée. Je me suis senti fort. J’ai trouvé ce soir-là ma liberté. Accomplie.Il est temps de retourner dans ton refuge jaune. Et lundi, retour au travail, pour résoudre le problème de la sculpture cassée avec Matteo. Elle sera magnifique. Aucun doute.

Il s’est passé quelque chose vendredi soir. Oui, je sais. Je suis " fou ". Comme tous les artistes le sont. Tu me l’avais déjà dit Louis, il y a bien des années. Mais depuis vendredi soir, Hubert, tu sais que tu peux maintenant aller jusqu’au bout du monde. La condition : Utiliser ta folie, sans illusion, conscient de tes propres limites fonctionnelles, avec une exigence professionnelle élevée, pour promouvoir un monde meilleur avec ton art si beau.

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